“Les bienfaits et les méfaits de l’aspirine” conférence par Jean-Claude Dauguet
A l’origine de l’aspirine nous retrouvons l’écorce de saule et la reine des prés. Le nom aspirine signifie a spiraea, c’est-à-dire qui provient de la spirée, spiraea ulmaria ou reine des prés. L’aspirine est héritière de la théorie des signatures, qui est un mode de compréhension du monde dans lequel l’apparence des végétaux est censée révéler leur usage et leur fonction. Cette théorie a été développée pendant la Renaissance par des figures marquantes comme le Suisse Paracelse (1493-1541) et l’Italien Della Porta. La chélidoine, par exemple, était utilisée dans le traitement des ictères en raison de la couleur jaune de son latex. Cette théorie des signatures est reprise au XVIIIe siècle par l’Anglais Edward Stone, qui pense que si le saule pousse les pieds dans l’eau il doit pouvoir servir au traitement des maladies causées par l’humidité et le froid, et donc les fièvres. Le XIXe siècle est marqué par le développement de la chimie et des laboratoires. On commence l’étude des principes actifs : à partir des molécules naturelles, on prépare des produits chimiques. Un Français, Pierre-Joseph Leroux, isole le principe actif de l’écorce de saule, c’est-à-dire la substance qui possède des propriétés thérapeutiques, la salicyline. Puis des scientifiques allemands et italiens développent l’acide salicylique, dont l’usage se répand pour traiter douleurs, fièvre et rhumatismes, mais provoque des brûlures d’estomac. Hoffmann, chimiste allemand, qui travaillait depuis 1894 dans le service de recherche pharmaceutique de Bayer, synthétise pour la première fois dans une forme stable, utilisable à des fins médicales, l’acide acétylsalicylique. Bayer commercialise le produit en 1899 sous le nom d’aspirine, d’abord sous forme de poudre, puis en comprimés. Les premières utilisations de l’aspirine en France datent de 1908. En raison de la première guerre mondiale, l’approvisionnement en aspirine par Bayer est interrompu. Les frères Nicholas mettent au point une nouvelle forme d’aspirine et obtiennent un droit d’exploitation du nouveau médicament “Aspro”. La petite boîte rose connaît un vif succès : “Aspro bloque rhumes et grippe en une nuit”. L’aspirine est couramment utilisée en cas de douleurs (action antalgique), en cas de fièvre (action antipyrétique), en cas d’inflammations, même si de nos jours, on lui préfère souvent le paracétamol et l’ibuprofène qui présentent moins d’effets secondaires. Par ailleurs, l’aspirine est très utilisée pour son action anticoagulante, par exemple en prévention de problèmes circulatoires lors de l’immobilisation d’un membre par un plâtre. En traitement préventif, à faible dose, il a été démontré que l’aspirine est efficace pour prévenir certaines pathologies, telles que les infarctus, les accidents vasculaires cérébraux, mais aussi le cancer, en particulier le cancer colorectal. Selon certaines études récentes, la prise régulière d’aspirine pourrait retarder l’apparition des symptômes de la maladie d’Alzheimer.
L’aspirine n’est pas dépourvue d’effets secondaires. L’aspirine a tout d’abord des effets indésirables sur les cellules de l’œsophage, de l’estomac et du duodénum. Elle peut entraîner des hémorragies, des ulcères gastriques, voire une perforation de la paroi. Pour diminuer les risques de lésions il vaut mieux utiliser l’aspirine en comprimés effervescents à délitement rapide ou du paracétamol. Lors de traitements au long cours, les risques d’accidents hémorragiques ne sont pas négligeables, l’aspirine est déconseillée aux hémophiles et aux personnes devant se faire opérer. Un autre effet secondaire est le risque allergique : des réactions cutanées, comme de l’urticaire peuvent survenir, mais aussi des réactions beaucoup plus dangereuses, comme de l’asthme, un œdème de Quincke (forme particulière d’urticaire caractérisée par un gonflement du visage, du cou et des muqueuses buccales et ORL, pouvant réduire le diamètre des voies aériennes supérieures, voire les obstruer) ou un syndrome de Reye (ictère aigu très grave avec encéphalopathie convulsive qui survient chez l’enfant après un traitement à l’aspirine suite à une infection virale). Il faut donc utiliser l’aspirine avec modération pour éviter les accidents dus à une automédication excessive.
En conclusion, l’aspirine est l’un des médicaments les plus connus, les plus courants et les plus populaires, qui a rendu service comme antalgique et antiinflammatoire. Pourtant, si elle était découverte de nos jours, obtiendrait-elle l’autorisation de mise sur le marché nécessaire à tout médicament pour être commercialisé, eu égard à ses effets secondaires ?
Mr Dauguet laisse la parole à Jean-Pierre Bernard, cardiologue, qui nous parle plus précisément de l’usage de l’aspirine dans la prévention et le traitement des maladies cardio-vasculaires, mais uniquement pour les personnes à risques. Au milieu du siècle dernier, des médecins ont reconnu les propriétés antithrombotiques de l’aspirine. On sait aujourd’hui que l’aspirine empêche l’agrégation de plaquettes sanguines et par conséquent la formation de caillots. Les plaques d’athérome, dépôts graisseux dans les artères, constituent un terrain favorable à l’apparition de ces caillots sanguins, notamment dans les coronaires qui irriguent le muscle cardiaque. En effet, quand ces plaques de cholestérol accumulées sur la paroi interne d’une artère se brisent, les plaquettes sanguines s’y agrègent et bouchent le vaisseau. En fluidifiant le sang, l’aspirine réduit leur formation qui est à l’origine de l’infarctus du myocarde et de l’accident vasculaire cérébral. Le fait est que, prescrite après un infarctus, une embolie ou un AVC, l’aspirine réduit la mortalité et le risque de récidive des patients. L’aspirine est aussi prescrite à vie aux patients auxquels on a posé un stent, une prothèse métallique qui permet de maintenir la circulation sanguine dans les artères bouchées pour empêcher la formation de caillots. Dans ces cas de traitements à vie, l’aspirine est prescrite à faible dose, à cette basse posologie, les effets indésirables sont rares. M.S