Cristal noir : d’un piano à l’autre
Face à la chaîne de Belledonne, sur la terrasse de leur demeure, c’est à une bien belle rencontre que nous convient Agnès et Laurent. Nous y retrouvons Michelle Tourneur qui évoque pour nous la genèse de son nouveau roman : « Cristal noir ». L’oxymore évoque le mystère et nous soupçonnons un secret. Après « La beauté m’assassine » et l’univers de Delacroix, l’auteur nous plonge au cœur des années folles, au sein du Paquebot, somptueux restaurant, créé par Charles-Henri et Robert, deux rescapés de la guerre 14. Pearl, jeune photographe américaine, use de son objectif pour mettre en lumière la créativité et la sensibilité du chef, Charles-Henri, qu’elle perçoit immédiatement comme un artiste. Le chef d’un grand restaurant n’est-il pas l’homme-orchestre d’un ballet, d’une symphonie où le rythme et l’harmonie, les accords et les tonalités conditionnent le ravissement des sens ?
Pour rendre plus sensible cette parenthèse enchantée de l’entre-deux guerres, Michelle Tourneur fait revivre pour nous les panneaux de Lalique, les créations de Poiret ou les ballets de Diaghilev. L’éphémère et la transparence vont de pair avec l’éternité et l’obscurité des limbes. Le Krach boursier de 1929 qui se profile à l’horizon laisse planer une ombre sur ce couloir enchanté du luxe et de la fête. Chaque création sous-tend, bien souvent, une fêlure, une quête, une ascèse que l’histoire personnelle peut expliquer.
Au-delà des apparences, ce sont ces fragilités que Michelle Tourneur explore et met à nu avec une sensibilité frémissante. Chez elle, tout est signe et tout fait sens. Après s’être ressourcée elle-même, dans le labyrinthe de la cathédrale de Chartres, elle peut nous livrer le message d’humanité de la dernière cène, repas qui rassemble sept convives privilégiés. Ils possèdent en commun « la force du goût de la vie ».
Avec brio, elle nous rappelle, après Montaigne, que « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ».
D.VDB