14084_559_jeux-d-enfants-mnam-cgp-am1989-644.jpgSix mois avant le MoMA, le musée de Grenoble expose Sigmar Polke
Un artiste qui interroge la peinture et qui la met « sens dessus dessous »
En ce 22 janvier 2014, nous étions une vingtaine à vouloir découvrir la peinture de Sigmar Polke. Peintre allemand étrange et inclassable, originaire de Silésie (Pologne), il fonde le « Réalisme Capitaliste » en réponse au Pop Art américain. Peu connu du grand public français, il est pourtant immédiatement identifiable par l’usage qu’il fait de la photographie. Il grossit le cliché et étire la trame jusqu’à en obtenir une sorte de transmutation.
Ce qui caractérise Polke, protestant rebelle, c’est la dualité. Dualité de la peinture à la fois figurative et abstraite, dualité de la démarche entre la magie et la toxicité. Il associe et confronte le dessus et le dessous, l’apparence et le réel, le noir et la couleur, la photographie et la peinture.
C’est un peintre foisonnant par la multiplicité des techniques et des inspirations, un alchimiste qui se joue des métaux et des minéraux, un homme qui pose, à travers la peinture, des questions existentielles. Hallucinogène révèle cette quête de spiritualité immanente. Il cherche les secrets qui régissent mélanges et dissolutions.
Si l’on s’arrête devant les 11 photos des montagnes australiennes, les Olgas , ce sont les failles qui s’imposent, immenses fentes humaines, transitions entre le visible et l’invisible. Et c’est à L’origine du monde de Courbet que Polke semble faire référence.
De la photo, il tente de saisir la trame, la quintessence, en la grossissant au maximum. Il étire les pixels et il reproduit sur la toile les points, comme des amibes, qu’il déforme ou qu’il associe à des incursions colorées.
Et si l’on se cache les yeux, comme dans le tableau Mains, on accède à une autre perception des choses qui fait appel à l’intériorité.
Polke est aussi le peintre de la couleur, forte et violente. Dans le tableau Lapis-Lazuli II, il utilise sur grand format le bleu de la pierre semi-précieuse, réservé aux madones de Fra Angelico. Le noir est aussi très présent. A travers Homme noir, il met en lumière ce que l’homme a de plus profond et de plus violent en lui, de moins contrôlé aussi. La référence à Goya est manifeste. Mais la peinture, il la démystifie, elle n’est que matière, et il la renvoie à sa matérialité. Il peut peindre sur toutes sortes de supports : un tissu, une couverture, une gaze qui laisse passer l’arrière-plan, le châssis étant aussi présent que la toile.
Chez Polke, abstraction et figuration cohabitent et semblent réconciliées. Et les peintures « tramées » qu’il offre à notre regard prouvent à quel point le regard est subjectif et l’apparence trompeuse. « On voit bien ce que c’est », telle est la formule inscrite sur une autre toile, mais comment faut-il interpréter ce message ?
Peintre subversif et corrosif, il pose la question du sens. Question fondamentale. Sens de la peinture, sens de l’image, sens de la représentation, sens de la vie.
Et c’est ainsi qu’il nous laisse « sens dessus dessous » !
Danièle Vandenbussche