Par Sébastien Bertrand – Professeur d’histoire en classe préparatoire au lycée Janson de Sailly

Sébastien Bertrand

Après James Bond et les femmes, l’année dernière, Sébastien Bertrand est venu évoquer James Bond et la guerre froide.

Le terme guerre froide désigne la période d’hostilité qui a opposé les USA et l’URSS après la 2ème guerre mondiale jusqu’à la dissolution de l’URSS en 1991. Elle a revêtu différentes formes d’affrontements : compétition économique, conquête de l’espace, guerres par alliés interposés et guerre des espions.

Les espions ont rapidement quitté l’anonymat pour retrouver les rayons des librairies, les écrans de cinéma et de télévision.

I JAMES BOND SYMBOLE DE LA GUERRE FROIDE

Entre 1953 et 1964, en pleine guerre froide avec la crise des fusées de Cuba en 1962, Ian Fleming écrit 21 romans et 16 nouvelles. On compte aussi 26 films officiels dont 16 réalisés entre 1962 et 1989.

1-1 James Bond, un enfant de la guerre froide mais sans guerre froide, il n’y aurait jamais eu d’agent 007 et ce pour 3 raisons :

  • Son créateur Ian Fleming (1908 – 1964) qui a été pendant la 2ème guerre mondiale le directeur de cabinet du contre-amiral John Godfrey, chef des services de renseignement de l’amirauté britannique et à ce titre qui a travaillé avec les services secrets de la Marine britannique.
  • Le succès des romans d’espionnage qui sont extrêmement lus et appréciés depuis la fin de la 2ème guerre mondiale.
  • Le contexte de publication :  en 1953 paraît Casino royal, année de la mort de Staline.

 On sait peu de choses sur James Bond. Les romans nous indiquent qu’il est né vers 1920, qu’il a des origines écossaises et qu’il est entré dans les services secrets britanniques. Il devient 00 en accomplissant 2 missions décrites dans le 1er roman. Le 1er 0 signifie qu’il est autorisé à tuer, le 2ème qu’il l’a déjà fait.

1-2 James Bond, un héritier de la 2ème guerre mondiale

La seconde guerre mondiale est très présente dans les romans.

Fleming précise que Bond est entré dans la Marine britannique en 1941 au paroxysme de la guerre et qu’il en est ressorti avec le grade de commandeur.

La description du “Spectre”, l’organisation criminelle que James Bond combat n’échappe pas à de nombreuses références qui sont liées à la guerre et  à des régimes totalitaires. Le Spectre est formé d’anciens membres de la gestapo et son chef Blofeld évoque à la fois Mussolini et Hitler.

II LES FILMS

2-1 La période 1953-1962, la coexistence pacifique.

Inaugurée par la mort de Staline en 1953, elle est caractérisée par un apaisement relatif mais traversée par les crises de Berlin en 1958 et en 1961 avec la construction du mur, la crise de Cuba en 1962 et des tensions diplomatiques très fortes.  James Bond est un agent britannique et Ian Fleming va faire de l’URSS son 1er ennemi. Dans 6 romans, 007 est opposé à l’union soviétique par l’intermédiaire du SMERSH (organisation de contre-espionnage soviétique qui a réellement existé). Docteur No (1962) et bons baisers de Russie (1963) font écho à ce contexte tendu. Docteur No est un scientifique qui sabote des fusées spatiales américaines. Dans bons baisers de Russie, les russes cherchent à s’emparer d’un appareil de décryptage.

2-2 La période 1962-1975, la détente

James Bond apparaît comme beaucoup moins offensif. Ian Fleming est mort en 1964, les films s’éloignent des romans. C’est une période de détente marquée par des rencontres entre les chefs d’états (en 1973 Nixon et Brejnev) et la signature des accords SALT en 1979 entre Carter et Brejnev sur la limitation des armes stratégiques. 

Cette période correspond à un succès planétaire pour la saga James Bond, 9 films sont produits entre 1964 et 1979. Seuls 2 traitent de la guerre froide avec un lien très clair avec la détente. En 1967 : on ne vit que 2 foiset en 1977 : l’espion qui m’aimaitoù les services secrets soviétiques coopèrent avec les britanniques pour découvrir qui se cache derrière un kidnapping de sous-marin. 

2-3 La période 1977 -1987, la guerre fraîche

 L’union soviétique mène une politique offensive et installe à ses frontières des missiles à tête nucléaire de moyenne portée les SS 20, pouvant atteindre l’ensemble des États de l’Europe occidentale membres de l’OTAN. En 1979, elle intervient en Afghanistan. Cette période de tension est marquée par la reprise de la course aux armements.

Reagan lance en 1983 l’initiative de défense stratégique dite guerre des étoiles. Dans un contexte aussi tendu, James Bond retrouve sa combativité.  4 films sortis entre 1981 et 1987 font clairement allusion à la guerre froide. Rien que pour vos yeux (1981), Octopussy(1983), dangereusement vôtre(1985), tuer n’est pas jouer(1987).

Octopussy fait référence à la crise des euromissiles et tuer n’est pas jouer à la guerre en Afghanistan et aux espions transfuges.  Dans rien que pour vos yeux en 1981, les soviétiques cherchent à récupérer le système ATAC, sorte de décrypteur utilisé par le ministère de la défense britannique pour diriger sa flotte de sous-marins chargés de missiles nucléaires. 

A partir de 1987, on entre dans une nouvelle période. Le traité de Washington sur le désarmement est signé en décembre par Reagan et Gorbatchev, le mur de Berlin tombe en 1989 et Gorbatchev démissionne en 1991.

III LA GUERRE FROIDE REVISITÉE PAR JAMES BOND

3-1 L’URSS amie ou ennemie

Au départ, l’union soviétique apparaît comme une ennemie dans les romans via le Smersh mais sa perception dans les films est beaucoup plus mouvante.

Le personnage du général Gogol, chef du KGB coopère à plusieurs reprises avec les services secrets britanniques. En 1985, il décore James Bond de l’ordre de Lénine (dangereusement vôtre).

3-2 Le Spectre (Service Pour l’Espionnage, le Contre-espionnage, le Terrorisme, la Rétorsion et l’Extorsion)

Les auteurs des films comme l’écrivain Ian Fleming vont mettre en scène une organisation criminelle qui va présenter quelques liens avec l’union soviétique mais qui apparaît comme une superpuissance de l’ombre qui vise à dominer le monde tout en recherchant le profit. Plus que les soviétiques, elle est le principal ennemi de Bond.

3-3 God save the Queen and James Bond save the world

James Bond est un agent britannique, il sauve le monde et va ramener le Royaume Uni au 1er plan et lui offrir la place d’honneur. Dans l’espion qui m’aimait en 1977, il est l’incarnation d’un Royaume Uni, puissance nucléaire. Dans Rien que pour vos yeux en 1981, apparaît une actrice incarnant Margaret Thatcher.

De 1995 à 2002, tous les films de l’ère Pierce Brosnan font référence à la guerre froide bien qu’elle soit terminée. Des films où règne un petit parfum de nostalgie un peu comme s’il était difficile à James Bond de dire adieu à la guerre froide. Le lien sera rompu ensuite.

Peut-être faut-il considérer James Bond comme un divertissement qui permettait aux spectateurs à défaut d’oublier la guerre froide d’en relativiser sa portée par quelques heures d’évasion.

Christine O’Mahony